L’histoire des SCOP en France s’écrit un peu plus chaque jour. Certains événements ont marqué le monde coopératif et sont dorénavant des références incontournables du mouvement. C’est le cas de la lutte de SCOP TI : Société Coopérative Ouvrière Provençale de Thé et Infusion. Comme vous l’aurez remarqué, à une inversion de lettre près, leur nom correspond au notre. Amusé de ce paronyme nous nous sommes intéressés à eux et avons (re)découvert leur histoire.
SCOP TI ne vous ne vous dit rien ? La plupart des personnes s’exclame « Ha ! Oui ! » lorsqu’on commence à leur raconter l’histoire des ex Fralib, une usine reprise par les employés dans les années 2000 après un combat long et acharné pour faire valoir leur savoir-faire et leur emploi. Ces employés appartenaient à un éléphantesque acteur de la grande distribution, pas du tout uni à leur avenir et qui voulait leur faire à l’envers (comprend qui peut) en fermant leur usine.
Il y a quelques mois de cela, nous les avons contactés afin de connaitre davantage leur mode de fonctionnement depuis leur reprise en SCOP. Malicieux que nous sommes, c’est sur le ton de l’humour que nous nous sommes adressés à eux pour la première fois, dans un mail assez cocasse, leur conseillant de changer de nom sous peine de poursuite. Leur réponse a été rapide. Notre contact, soulagé par la lecture du reste de notre message, a bien vite compris qu’il s’agissait d’un petit clin d’œil à leur démêlé judiciaire. Trop occupé par le lancement de leurs nouveaux produits, nous n’avons pas pu fixer une rencontre. L’affaire était donc à suivre…
Le temps passa et en nous égarant sur internet, nous avons découvert que SCOP TI s’était lancé dans une campagne de financement sur une plate-forme participative. Notre contribution envoyée nous avons eu le droit de visiter de cette fameuse usine : le front de leur bataille.
C’est en plein mois de juin que notre fine équipe a pris la direction d’Aix-en-Provence. Arrivée sur les lieux, nous avons enfilé les habits obligatoires: un long manteau, une charlotte et des protections pour chaussures. Passé le lourd rideau de porte en bandes plastiques nous avons découvert une très belle enceinte. Les premières sensations ont été olfactives, une odeur de thé naturel est venue nous caressé le nez, puis auditives. Certaines lignes de productions étaient en marche, et pour finir visuelles, depuis l’extérieur on ne se doutait pas de son immensité. Nous avons été embarqués par la narration de notre guide qui nous menait vers les différents points du site, nos esprits curieux comprenaient au fur et à mesure comment ces petits sachets de thé étaient préparés. Attroupés autour d’une machine, nous avons contemplé cette bande de papier qui virevoltait au gré des mécanismes. A tout allure la machine transformait le papier en petit sachet rempli de matière première. Cette course effrénée se terminait dans une boîte en carton posée sur un tapis mécanique. Les roulements emmenaient ensuite l’ensemble des boites prêtes vers la zone de logistique pour l’emballage et l’expédition finale.
C’est en relevant les yeux que nous avons compris que ces premières machines à l’entrée étaient les seules actives. Il fut un temps où l’usine tournait à plein régime, 24h/24 et 7 jours sur 7, avec une centaine d’employés qui se relayait. Le reste de la visite serait plus calme mais beaucoup plus riche en histoires. On a continué notre visite en passant par d’anciennes lignes de production composées de machines plus spécialisées. Comme celle qui préparait jadis des sachets ronds et plats ; cette dernière pourrait d’ailleurs être remise en marche car ce format de dégustation commence à être utilisé dans certaines théières dîtes modernes. Nous avons ensuite visité le stock aux mille et une odeurs, où se succédaient de gros ballotins d’arômes naturels des régions voisines mais aussi des quatre coins du monde. Une bonne partie de la visite s’est déroulée dans « la cuisine », une grande salle dominée par un grand entonnoir métallique, dans lequel mijotaient les préparations. La préparation des mélanges était méticuleuse, de la remontée des sacs à la bonne répartition des ingrédients (thé, arôme naturel et d’eau) jusqu’au respect du temps de chaque recette. Cette salle est importante car les premières interrogations ont vu le jour au pied de ce monument, les prémisses de la lutte ont commencé à prendre forme.
Ces petites heures passées auprès des machines nous ont fait comprendre que ce site a été une incroyable plaque tournante du thé européen et que le savoir-faire accumulé était impressionnant. Et dire que ce fleuron français du thé a failli fermer !
Ce qui nous a frappé, ce sont les regards de ces nouveaux coopteurs, lorsqu’ils nous ont remémoré ces événements. Ils avaient tous le même discours et dans les yeux la même lueur nostalgique du temps où leur usine était au sommet. Les années 2000 ont bousculé cette période de grandeur en laissant place à des moment de frayeurs. On ressentait encore ces souvenirs lors de nos échanges, leurs hochements de tête et leurs petites mimiques du visage en disaient long sur ce qu’ils ont vécu. Mais croyez-nous, un sourire synonyme de leur délivrance et de leur passion pour ce qu’ils font n’est jamais long à paraître.
Il est difficile de vous relater en un seul article l’ensemble des faits marquants de leur histoire, tant ils sont nombreux. D’ailleurs il est plus que préférable de les vivre à travers leurs propres mots. Voici quand même deux causes majeures qui ont déclenché leur lutte : d’une part la sécurité et la qualité de leur travail et d’autre part la décision de fermer leur site.
La qualité de leur produit était une de leurs fiertés, lorsque l’on travaille avec d’excellentes matières premières, cela contribue à mettre du cœur à l’ouvrage. Mais voilà, le groupe a décidé de changer, en optant pour des arômes artificiels. En conséquence de cela, les lignes de production ont été chamboulées. Il n’était plus nécessaire de porter les sacs d’arômes tout en haut de l’entonnoir géant, il fallait juste aspirer une poudre magique qui faisait gagner du temps de « cuisson » et qui transformait le reste de la chaîne de production : le produit en apparence restait le même, par contre la senteur dégagée ne provoquait plus le même effet. Quelque chose avait changé… Cette foutue poudre était tellement efficace, que vous en étiez imprégné après plusieurs douches d’affilées.
Face à ces constatations alarmantes, certains employés se sont mobilisés afin d’obtenir des informations sur la composition de cet arôme artificiel. Les recherches sur le web ont été fructueuses et elles sont venues soutenir un dossier de mise en garde du danger des nouvelles méthodes. Le dossier a été transmis au directeur et sa réaction était assez surprenante : il était plus impressionné par la démarche numérique de ses employés plutôt que par les risques encourus et la perte potentiel de consommateurs, suite à la baisse de qualité du produit.
Bref, des masques, des lunettes et des vêtements longs étaient désormais de rigueur lors des expérimentations aromatiques. L’implication des employés dans cette situation illustre parfaitement la préoccupation de l’Homme pour son travail et les produits pour lesquels il a développé un savoir-faire. Qui est mieux placé qu’eux-mêmes pour observer un changement considérable du produit ? Face au manque de considération de leur direction, ces hommes ont perdu confiance et l’histoire ne faisait que commencer, d’autres annonces sont venues assombrir leur quotidien.
La fermeture de leur usine a été le plus grand volet de leur aventure, cette décision s’apparentait bonne aux yeux du groupe car la délocalisation était une opération rentable. Le site était soi-disant déficitaire, mais l’annulation successives des plans sociaux soutenaient le contraire. C’est en découvrant les pratiques des ex propriétaires que nous avons compris pourquoi le mot « lutte » était si important. L’usage de la force était bel et bien une façon de faire pour bloquer l’accès aux employés qui venaient travailler. Et pour ceux qui avaient pu se faufiler à travers les mailles du filet la sentence était la même. Les pauvres « remplisseurs de sachet de thé » se retrouvaient nez à nez avec des golgots. Même si le combat paraissait perdu, le site était bien sous le contrôle des employés. Cette lutte a duré 1336 jours, un dénouement heureux a donné gain de cause aux employés, le permettant ainsi de récupérer leur usine.
L’histoire ressemble à un conte de fée mais la réalité est à la fois encourageante et effrayante. La lutte terminée il a fallu redoubler d’énergie pour lancer leur nouvelle production. Avec un effectif restreint et une partie de l’usine arrêtée, SCOP TI a dû se relever. Faire du thé n’était pas le problème principal, ils peuvent compter sur leur savoir-faire. Le plus important était de mettre en place la nouvelle organisation coopérative tout en assurant les métiers nécessaires à leur bon fonctionnement. Accompagner les employés dans leur transformation en SCOP, remonter un système d’information, adopter une nouvelle communication alignée avec leur nouvelle image, assurer les livraisons, trouver des fournisseurs et une force commerciale. Voilà les nouveaux défis qu’ils ont relevé ces derniers mois. Cela a été long mais ils sont dorénavant dans une nouvelle phase de développement. Ce qui est remarquable dans cette histoire, c’est cette solidarité entre employés qui a pris de l’ampleur en sautant les grilles de l’usine pour devenir un mouvement populaire. De la population locale, aux personnes de passages jusqu’au supermarché du coin, qui a pourtant essuyé quelques plais, tous étaient derrière ces Hommes.
SCOP TI, c’est à ce jour une SCOP qui fabrique du thé et infusions sous deux noms respectifs SCOP TI et 1336. D’un côté des infusions BIO aux arômes naturels sélectionnés par leur soin. Et de l’autre du thé aux multiples saveurs. Ils sont implantés un peu partout en France, pour trouver les produits et les connaitre davantage nous vous conseillons de les suivre sur les réseaux sociaux et sur le site web.
Cette histoire a fait beaucoup parlé d’elle, elle montre qu’un rassemblement social peut sauver une entreprise. La reprise d’une société par des employés est la forme de SCOP la plus populaire. A côté de ces transformations il y a également des créations de SCOP. Cette année a eu lieu le congrès régional (Ile de France – Centre Orléanais – Haute Normandie – DOM TOM), une vingtaine SCOP ont vu le jour sous forme de créations et même de fusion ! Certaines SCOP sont bien établies, les plus anciennes structures ont déjà plus de 80 ans. Quel que soit leur âge, elles ont toutes des origines et des aventures diverses. Cela va en faire des rencontres et surtout des histoires à raconter.